En désignant son challenger à la controversée élection présidentielle du 31 octobre dernier, Alassane Ouattara, chef d’Etat, semble avoir décidé de tourner le couteau dans la plaie de ceux avec qui le monde entier lui demande de se réconcilier.
Lors de son discours d’orientation, lundi dernier, Alassane Ouattara a donné le sentiment d’avoir enfin compris à quel point son pays est divisé. Face à ses invités venus pour l’essentiel d’ailleurs, pour son investiture, l’ancien directeur général adjoint du FMI s’est présenté en homme étonné par les violences meurtrières qui ont émaillé le scrutin dernier.
Pourtant, ces scènes meurtrières, bien d’observateurs l’avaient qu’elles surviendraient s’il briguait un troisième mandat, alors fortement contesté. Surtout que l’absence totale de consensus sur tout le processus électoral était un signal prémonitoire qui avait alerté l’opinion nationale et internationale. Pis, malgré les avertissements renforcés par les décisions de justices rendues par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp), il a est allé au bout de son projet de se succéder à lui-même.
Cette juridiction avait dénoncé la répression judiciaire- si elle en est une – contre son opposition politique. Finalement, un système électoral aux ordres a écarté 40 candidats de la course pour n’en retenir que 4 dont lui. Et chaque fois qu’il était interrogé sur sa politique de réconciliation, le président du parti unifié niait tout simplement l’existence de toute division de la classe politique dans son pays. Et pourtant…
LE VRAI FAUX TABLEAU
Lors d’une de ses récentes visites d’Etat, le président du Rassemblement pour la démocratie et la paix (Rhdp) indiquait qu’il n’avait « pas de problème avec quelqu’un » et qu’il ne pensait pas que des gens étaient divisés dans son pays. Il a fallu que la Côte d’Ivoire soit encore endeuillée de plusieurs dizaines de ses enfants pour qu’Alassane Ouattara se résolve à admettre qu’il y a péril en la demeure et qu’il urge de consacrer un département ministériel à cette problématique.
PROBLÈME DE LEADERSHIP
Mais la désignation de l’ancien président de la jeunesse du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), en conflit ouvert avec son parti, trahi les vraies intentions de M. Ouattara à propos de la réconciliation. En effet, partout dans le monde où le besoin de réconciliation s’est posé, le profil de la personnalité choisie pour conduire pareille mission a toujours pesée. En Afrique du Sud, pays qui a donné l’exemple de ce concept du vivre ensemble, n’a pas misé sur n’importe qui pour être le président de la célèbre Commission Vérité et réconciliation, en désignant Desmond Tutu….
Restons en Côte d’Ivoire. En confiant la présidence de la Commission dialogue vérité et réconciliation (Cdvr) en 2012 à Charles Konan Banny, c’était bien pour son profil. L’ancien gouverneur de la Beceao et ex-Premier ministre n’était pas connu pour être en conflit très ouvert avec un camp politique de la place. Et que dire de l’Archevêque Siméon Ahouana Djro qui a dirigé la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes ? La désignation de cet homme de Dieu et ses collaborateurs (des guides religieux et des intellectuels de haut rang) n’a suscité aucune réserve, sinon qu’elle avait plutôt suscité quelques espoirs après la fin de la mission de la Cdvr.
HOMMAGE À UN BIENFAITEUR
« KKB a été nommé pour service rendu. Et surtout pour narguer l’opposition. La position d’Alassane Ouattara n’a pas changé à propos de son appréciation de la réconciliation », commente un cadre du Rhdp, qui a requis l’anonymat. Même Niamkey Koffi du PDCI-RDA, n’applaudit pas ce choix, rejeté aussi par nombre d’Ivoiriens. Bien d’observateurs interprètent la création de ce département ministériel comme une volonté de tromper.
Depuis son élection controversée, les Ivoiriens ne sont plus les seuls à dénoncer le passage en force de M. Ouattara. A preuve, des députés suisses se demandent s’il est en fin de compte un « interlocuteur crédible » pour leur pays. Que dire des parlementaires socialistes français qui attendent de lui et son homologue de l’Élysée qu’ils s’expriment sur la décapitation d’un manifestant à Daoukro et d’autres tueries du Non au 3è mandat.
IMAGE FORTEMENT ÉCORNÉE
Partout, dans le monde, l’ancien DGA du FMI ne bénéficie de l’entière admiration qui l’avait adoubé. Est-il utile de rappeler ce ballet de parlementaires européens qui attaquent le Président Emmanuel Macron et la France pour avoir soutenu ce 3ème mandat de trop, imposé aux Ivoiriens au prix de vies humaines ? En brandissant la création de ce département ministériel Alassane Ouattara ne s’adresse-t-il pas plutôt à ses partenaires d’affaires en Europe ou ailleurs qui le pressent d’ouvrir le dialogue avec son opposition?
UNE AUTRE TROMPERIE
La création du ministère de la Réconciliation semble être plus, une poudre aux yeux plutôt qu’un acte de bonne foi. D’ailleurs il a été très net sur la question. Son intention n’est pas d’ouvrir le gouvernement à l’opposition, en nommant KKB pour conduire la mission d’intérêt national. Lui, semble plutôt avoir été nommé pour avoir bien assuré une autre mission : celle d’avoir aidé le président sortant à « violer la constitution ». Mais jusqu’à quand cette ruse avec la réconciliation va-t-elle durer ? Parce que tôt ou tard, cette réconciliation, la vraie, finira par s’imposer.
Générations Nouvelles