Les influenceurs et leur impact sur la société ivoirienne : Paul Wil-Adémon Kwadjané Agoubli et Macaire Etty questionnement le phénomène
Ils ont pignon sur rue dans le monde digital. Eux, ce sont les influenceurs. Qui sont-ils réellement ? Quel rôle jouent-ils ? Notre dossier.
Commençons par une définition : Qu’est-ce qu’un influenceur?
Le néologisme d’influenceur désigne ces personnages nouveaux de l’espace numérique, notamment des réseaux sociaux en ligne qu’on présente comme capables d’agir sur les choix d’autrui, des les orienter, de les influencer, voire de les dicter subrepticement. Le monde digital a besoin des influenceurs du fait de la logique consumériste qui encadre les médias sociaux. L’influenceur sera nécessaire pour agir sur les habitudes de consommation. Dans nos pays, ce qui est intéressant ou problématique c’est l’intervention de plus en plus important des influenceurs dans le domaine politique.
Quelle distinction peut-on faire entre l’influenceur et le leader d’opinion?
Le leader d’opinion est une figure ancienne, on dirait même classique, de l’espace public. Pour agir sur les opinions, le leader d’opinion doit les connaître sinon les forger. Cela suppose, en plus de l’obligation culturelle et dialecticienne auxquelles il se conforme, que le leader d’opinion se déploie dans un monde d’ordre qui n’a pas renoncé au sens, à l’ordonnancement des idées ainsi qu’aux grandes causes vers lesquelles marchent les sociétés. C’est la désorganisation des socialités numérisées (Simon Nora et Alain Minc 1978), ce qu’on appelle aussi la société de l’information, leur soumission aux logiques de consommations qui génèrent l’influenceur.
Pourrait-on dire au vu des vidéos qu’ils publient à longueur de journée qu’ils occupent, eux-aussi, ce qu’on appelle «l’espace public» ?
Les vidéos sont en effet l’un des instruments de la panoplie de ces nouveaux acteurs du numérique, les vlogueurs, c’est-à-dire des bloggeurs plus aptes à la vidéo qu’au texte. D’ailleurs, les études montrent que la vidéo sera l’avenir de la communication numérique. La relégation de la lecture semble actée. Pour ce qui est de l’espace public, révélation de la conversation démocratique, il désigne aussi bien un site, un topos, ça veut dire un espace, que les débats qui y ont cours. Il suffit d’analyser le contenu des vidéos pour voir si elles ressortissent de la logique précédemment décrite et si oui, ce qu’elles disent alors de nos espaces publics.
On reproche à ces influenceurs d’être friands de buzz, de clashes et de scandales. Est-ce par manque d’imagination qu’ils sont portés sur des sujets de bas niveau?
L’influenceur, par narcissisme et par le jeu d’une intelligence remarquable des logiques du moment, a compris l’environnement digital dans lequel il a conclu de réaliser son projet professionnel. Dans ces conditions, l’influenceur a besoin d’attirer à lui un public de plus en plus nombreux pour l’utiliser comme un argument publicitaire. C’est la même logique avec les médias traditionnels pour l’audimat et le lectorat : vous captez la publicité en raison du nombre de lecteurs, d’auditeurs ou de téléspectateurs. Le cancan et les scandales faisant recette comme les guerres et les conflits, l’influenceur, qui reçoit en plus un salaire pour ses vidéos s’il a du monde, n’a aucun intérêt à changer son fusil d’épaule
Pourquoi ces hommes et ces femmes, stars des réseaux sociaux, ont-ils du succès quand bien même ils ne servent pas de contenus de haut vol ? La population (pourquoi pas l’Etat ou la tlélé ) n’a-t-elle pas sa part de responsabilité dans cette sorte de dégénerescence ?
Il faut considérer une partie de la réponse précédente. Pour le reste, nous devons confesser que ce qu’on considérait comme une particularité va devenir la norme de notre société parce que les médias ont décidé de résister à la concurrence des médias sociaux en empruntant leur logique. Ce qu’il faut faire, je réponds à la dimension éthique de la question, c’est proposer, et c’est possible, des contre-modèles pour que le ludique ne l’emporte pas systématiquement dans cet espace public reconfiguré.
Comment expliquez-vous l’importance de la présence des femmes dans cet univers numérique et de réseautage social ?
Le contraire seul eût étonné. Il ne faut pas oublié que la logique qui prévaut est celle de la consommation. Dans ces conditions la créativité, la beauté, le sexe, parfois le sang l’emporteront de très loin sur toute autre considération. Nous ne parlons pas d’un monde vertueux, nous parlons d’un monde de l’efficacité.
Ces influenceuses peuvent-elles constituer un danger pour la jeunesse féminine ivoirienne? Comment ?
Je reformule la question pour la saisir au sens de leur impact sur leurs followers. La réponse est évidente. Ce que cherche l’influenceur, c’est se placer dans la trajectoire des marques, des entrepreneurs et des puissances d’argent. Ces derniers les utilisent alors comme des égéries en vendant du rêve aux milliers, voire aux millions de personnes auxquelles ils donnent accès par leur beauté ou leur extravagance. Le tribut que la société paie à cette logique est important : fin des nuances, dictature de la pensée unique, chamboulement du système des valeurs par une incapacité totale à prendre une certaine distance avec ce monde factice
Est-il possible d’utiliser les influenceurs autrement, je veux dire dans le sens de l’enracinement d’une conscience républicaine ?
La conscience républicaine procède d’un discours qu’il faut connaître et pouvoir manier, elle procède même d’une tradition que ne sont pas entrainé à reconnaître les followers des influenceurs en question. Dans ces conditions, ce recyclage me semble sinon impossible en tout cas improbable. Enfin, il faut garder à l’esprit qu’au nom du salaire, l’influenceur est au travail, il n’a aucun intérêt à travailler à quelque idéologie ou construction intellectuelle que ce soit et qui d’ailleurs dépasse largement ses compétences.
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