Depuis les années 1990, le débat identitaire empoisonne la vie politique ivoirienne, fracturant une société autrefois unie. De la carte de séjour à l’ivoirité, en passant par les guerres de succession et la crise militaro-politique, l’histoire récente de la Côte d’Ivoire est marquée par une lutte constante autour de la nationalité et de l’appartenance. Alors que le Président Alassane Ouattara fut autrefois victime de cette dérive, la mise en cause de la nationalité de Tidjane Thiam, candidat à la présidentielle de 2025, relance de manière troublante cette douloureuse problématique.
Il est totalement absurde que le problème d’identification et d’appartenance identitaire puisse encore exister de nos jours en Côte d’Ivoire, ce depuis la décennie 90. Avant cette période, les populations vivaient en harmonie. Chacun se sentait chez lui partout sur les 322 462 kilomètres carrés du territoire ivoirien.
Pour renforcer l’esprit d’unité nationale, les élèves et les fonctionnaires étaient affectés dans les villes et régions autres que celles de leurs origines. On ne tenait pas compte de l’ethnie ni de la religion. Ce qui comptait, c’était le brassage ethnique en Côte d’Ivoire.
La carte de séjour, la boîte de Pandore.
C’est en 1990 que le débat identitaire a commencé dans notre pays avec l’instauration de la carte de séjour par le Premier ministre d’alors Alassane Dramane Ouattara. Avec l’instauration de ce titre qui selon son initiateur, haut fonctionnaire de la finance internationale venu de Breton-Wood, devrait contribuer à renflouer les caisses de l’Etat, la cohésion entre les ivoiriens et leurs frères ivoiriens du nord et non nationaux pour la plupart de la sous-région ouest-africaine, prit un coup. L’opération fut mal maîtrisée. Les contrôles policiers virèrent à la traque sur fond de délit de faciès, de patronyme ou encore d’accoutrement. La carte d’identité nationale qui devait déterminer l’appartenance à la Côte d’Ivoire était désormais frappée de doute pour une catégorie d’ivoiriens.
La mort d’Houphouet-Boigny et la naissance du concept de l’ivoirité. En décembre 1993, à la mort du Président Felix Houphouët Boigny, père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, la guerre de succession engagée tourna en défaveur du Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, désireux d’occuper le fauteuil présidentiel au mépris de la Loi fondamentale. Henri Konan Bédié, dauphin constitutionnel devint alors le Président de la Côte d’Ivoire. Très vite, Alassane Ouattara est rattrapé par les ravages de la boîte de Pandore qu’il a lui-même ouverte.
Un nouveau concept est créé dans les officines du PDCI-RDA au pouvoir, qui prône la préférence identitaire dans tous les domaines de la vie sociale y compris en politique. L’ex Premier ministre Ouattara voit sa nationalité remise en cause parce que soupçonné d’avoir des origines burkinabè. Il ne pouvait donc plus exercer ses droits politiques à fortiori présenter sa candidature à quelque élection politique. «On m’empêche d’être candidat parce que je suis musulman et du Nord ». Cette phrase du Président du RDR qu’il était devenu, intensifia la crise identitaire entre ivoiriens du Nord qui se sentaient marginalisés en raison de leurs origines et leurs concitoyens du sud.
La déflagration de septembre 2002.
La frustration identitaire et les répressions politiques meurtrières contre les populations du nord et les ressortissants étrangers débouchèrent en septembre 2002 sur une révolte militaro-politique conduite par un jeune leader syndical estudiantin, Guillaume Kigbafori Soro. Plusieurs accords de paix furent signés pour ramener la paix. Tous ces accords, de Lomé à Ouagadougou en passant par Linas-Marcoussis, Accra et Pretoria, ont désigné l’identification et la question identitaire comme les véritables causes de la fracture sociale. Les accords aboutirent à la confection de nouvelles cartes d’identité gratuites pour tous les ivoiriens, à la reconnaissance de la nationalité ivoirienne d’Alassane Dramane Ouattara. Sa candidature fut acceptée à titre exceptionnel à la présidentielle de 2010 dont il sortit victorieux.
Quand la victime devient le bourreau.
Alassane Ouattara devenu Président de la République, tout portait à croire que le nauséeux débat identitaire prendrait fin. Que non ! Grande fut la surprise des ivoiriens d’apprendre que la justice ivoirienne a suspendu la délivrance d’un certificat de nationalité à M. Tidjane THIAM, Président du PDCI-RDA, et candidat déclaré à la Présidentielle d’octobre 2025. En cause, des implications juridiques et judiciaires de la renonciation à la nationalité française par ce dernier qui par cet acte, espérait se consacrer entièrement à ses ambitions politiques en Côte d’Ivoire. Voilà qu’un doute commence à s’installer dans les esprits relativement à sa candidature à la présidentielle prochaine.
Ouattara, la victime identitaire d’hier, serait-il aujourd’hui devenu le bourreau identitaire ?
N’Zassa-Actu
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