Crise des data en Côte d’Ivoire : La DG de l’ARTCI s’explique dans une auto-interview et étale des contradictions

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Namahoua Bamba-Touré, directrice générale de l'ARTCI
Namahoua Bamba-Touré, directrice générale de l'ARTCI
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Alors que la crise des data bat son plein en Côte d’Ivoire, la directrice générale de l’Autorité de régulation des télécommunications (ARTCI), Namahoua Bamba-Touré a accordé une auto-interview à un magazine interne à sa structure où elle étale ses propres contradictions et contre-vérités.

En effet, alors qu’elle dit défendre les consommateurs, elle s’élève contre des bonus qui, selon elle, peut conduire à « des situations de vente à perte », sans dire pour quelle entreprise ceux-ci pourraient constituer une perte. En outre, elle indique que la fixation des prix est libre, mais oublie que la structure qu’elle dirige avait fixé un prix plancher en dessous duquel la data ne pouvait être vendu, ce qui est une hérésie économique, surtout que ce prix était au-dessus de certains prix déjà pratiqués sur le marché.

Mme le Directeur Général, qu’est-ce qui justifie la mesure contenue dans la décision de janvier 2023 relative aux promotions mises en place par les opérateurs de téléphonie mobile ?

Je voudrais avant tout vous remercier de l’opportunité que vous nous offrez, pour apporter un certain nombre de clarifications concernant la Décision 2023-834 du 12 janvier 2023 de l’ARTCI relative à l’encadrement des offres de services sur le marché de détail de la téléphonie mobile. Je souhaiterais rappeler que l’Autorité de Régulation des Télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire (ARTCI) que je dirige depuis quasiment un (1) an déjà, est une Autorité Administrative Indépendante.

Au titre de la Régulation du secteur des télécommunications, l’ARTCI a, entre autres missions d’assainir la concurrence entre les opérateurs, d’assurer la protection des consommateurs et de favoriser un développement pérenne du marché ivoirien des télécommunications/TIC. L’ARTCI a fait le constat d’un usage abusif des offres promotionnelles par les opérateurs sur le marché de la téléphonie mobile, toute chose qui est préjudiciable tant pour le marché que pour le consommateur des services de télécommunications mobiles.

En effet, les offres promotionnelles répétitives présentent le risque d’une tarification non transparente pour le consommateur en raison de leur manque de clarté. Les niveaux élevés des promotions (400 voire 500% avant la première intervention de l’ARTCI), bien qu’en apparence profitables aux consommateurs masquent une réalité qui est que les tarifs des services sont maintenus artificiellement élevés en dehors de ces promotions.

A lire aussi : Côte d’Ivoire : Entente cordiale entre les 3 opérateurs de téléphonie mobile pour réduire les volumes Internet ?

Cette situation est à l’origine de comparaisons erronées sur les coûts des services de télécommunications entre la Côte d’Ivoire et certains pays d’Afrique de l’ouest notamment, car elle ne reflète pas la réalité des prix de ces services et ne permet pas une baisse durable des prix. Pour illustrer mon propos, sur les 4 dernières années, les tarifs Voix mobile affichés ont peu évolué passant de 95.2 FCFA en moyenne en 2019 à 99.5 F au premier trimestre 2023 alors que le Prix Moyen consommé qui prend en compte les effets des promotions a baissée sur la même période de près de 40%, passant de 13 FCFA à 8 FCFA la minute.

En outre, cette guerre effrénée que se livrent les opérateurs pour offrir les bonus les plus importants peut conduire à des situations de vente à perte et de destruction de valeur alors que des investissements importants doivent être réalisés pour accroître la couverture, faire évoluer les réseaux vers de nouvelles technologies et assurer une bonne qualité de service.

Nous sommes dans un secteur fortement évolutif et la viabilité des investissements est un facteur clé de son développement pérenne. Par ailleurs, conformément aux règles générales en matière de commerce et de concurrence, les promotions sont des pratiques encadrées et le secteur des télécommunications ne fait pas exception. D’où la nécessité de mettre en place les règles de bases encadrant les pratiques promotionnelles dans le but de rétablir et promouvoir une concurrence saine sur le marché de la téléphonie mobile.

La décision prise par l’ARTCI vise par conséquent à préserver les intérêts de l’ensemble des parties prenantes (Etat, opérateurs et consommateurs) et assurer un équilibre économico-financier de l’écosystème dans son ensemble.

Certaines compagnies de téléphonie ont publié des communiqués annonçant la révision à la hausse de leur tarif précédemment en vigueur. Aviez-vous été saisis ?

En la matière, le principe est clair dans toutes les économies libérales comme la nôtre. Les prix des biens, des produits et des services sont librement fixés par les professionnels. Cela découle du principe de la liberté contractuelle et s’oppose à la réglementation des prix.

Suivant l’article 171 de l’ordonnance n°2012-293 du 21 mars 2012 relative aux Télécommunications/TIC (texte législatif qui encadre le secteur des Télécommunications/TIC et qui confère à l’ARTCI la fonction de Régulateur), les tarifs sont fixés librement par les opérateurs et fournisseurs de services dans le respect des principes de transparence, d’objectivité et de non-discrimination et sont applicables sur toute l’étendue du territoire national, exception faite de cas de surcoûts dûment justifiés. Ainsi, les opérateurs de téléphonie mobile fixent librement leurs prix sans intervention particulière du régulateur.

Néanmoins, ils doivent informer préalablement le Régulateur. En effet, l’article 174 de l’ordonnance relative aux Télécommunications/TIC dispose que : Les opérateurs et les fournisseurs de services sont tenus d’informer le public des tarifs et des conditions générales d’offre de leurs services. Ils communiquent ces informations à l’ARTCI un mois avant de les porter à la connaissance du public….. Cette dernière disposition n’a pas été respectée par les opérateurs.

Quelle est la position du Régulateur face à cette situation ?

Face au non-respect de la disposition évoquée plus haut, I’ARTCI a adressé en date du 07 avril 2023 un courrier d’interpellation aux opérateurs pour leur demander de sursoir à ces offres de service. Suite à ce courrier d’interpellation, I’ARTCI a demandé par un second courrier en date du 13 avril 2023, aux opérateurs de revenir aux offres tarifaires d’avant le 06 avril 2023. L’ARTCI initiera très prochainement une série de rencontres avec l’ensemble des parties prenantes, notamment les consommateurs, en vue de lever les incompréhensions découlant de la mise en oeuvre de la décision.

Mme le DG, comment expliquez-vous qu’alors que le gouvernement milite pour la digitalisation de toutes les procédures ainsi que l’ensemble de l’administration, et sensibilise les populations à recourir davantage au digital, l’on assiste à la hausse du coût de l’internet par les opérateurs ? Quel est votre commentaire ?

L’Internet est aujourd’hui reconnu comme un droit fondamental par les Nations-Unies au même titre que l’accès à l’eau et à l’électricité. Cela est entériné en Côte d’Ivoire par l’article 3 de la Loi n°2017-803 du 7 décembre 2017 d’orientation de la société de l’information.

L’Autorité de Régulation des Télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire (ARTCI), œuvre au côté du Gouvernement à ce que chaque citoyen puisse avoir accès à Internet, à un prix abordable. L’ARTCI a élaboré une stratégie en 2015 en vue d’adresser la question de la tarification de l’internet jugée excessive. Cette stratégie a permis les avancées notables suivantes :

  1. la réduction des coûts d’accès aux capacités nationales et internationales de 75% en moyenne entre 2015 et 2020, nécessaires à la fourniture de l’internet;
  2. l’accroissement de la concurrence sur le marché des capacités nationales et internationales, en favorisant l’atterrissement de nouveaux câbles sous-marins. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire accueille cinq (5) points d’atterrissement de câbles sous-marins contre 3 en2015;
  3. l’accroissement de la concurrence par l’introduction de nouveaux fournisseurs d’accès internet (FAI) portant à 7 le nombre de FAI autorisés (hors Orange CI, MTN CI et MOOV Africa CI) en 2023, contre seulement trois (3) en 2015.

Ces avancées ont permis une évolution significative des tarifs Internet. Au niveau de l’Internet mobile, le prix moyen constaté du Mégaoctet (Mo) est passé de 3,4 FCFA en 2015 à 0,499 FCFA en 2022 correspondant à une baisse de plus de 80% sur la période. L’ARTCI ne saurait soutenir une augmentation des prix qui serait antinomique à l’objectif de démocratiser l’accès à internet. Toutefois, l’abordabilité rime avec la notion de tarification juste qui suppose que les tarifs ne sauraient être en dessous de leurs coûts de production.

En terme d’abordabilité des services DATA, la Côte d’Ivoire se classe en 3ème position au niveau de l’Afrique de l’Ouest, suivant le dernier classement publié en 2021 par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT).

Je rappelle que ce classement s’appuie sur les tarifs faciaux et ne prennent pas en compte les effets des offres promotionnelles.

Mme le DG, à en croire les opérateurs de téléphonie, la hausse du coût de l’internet n’est que la conséquence de la mesure prise par le régulateur. Que fait le Régulateur devant cette situation ?

Il s’agit certainement d’une INCOMPREHENSION dans la mise en oeuvre opérationnelle de la décision que nous nous attellerons à résoudre ensemble avec les opérateurs dans les prochains jours. Comme je l’ai dit plus haut, ces derniers ont été interpellés et les clarifications seront apportées dans les jours à venir.

Je voudrais rappeler que l’ARTCI a une mission de service public. A ce titre, elle ne saurait prendre des décisions allant dans le sens de nuire aux intérêts du consommateur que NOUS sommes TOUS. Nous portons une attention toute particulière à l’EQUILIBRE GLOBAL DU SECTEUR et surtout au DROIT DU CONSOMMATEUR, dans la Régulation au quotidien du secteur des télécommunications/TIC dont nous sommes garant.

Mme le DG, il est annoncé l’avènement de la 5G, en prélude à la prochaine CAN en Côte d’ivoire. A quand la 5G sur le territoire ivoirien ?

Dans l’objectif d’un déploiement effectif de la 5G pour la Coupe d’Afrique des Nations de football en janvier 2024, le Gouvernement a établi une feuille de route le 22 décembre 2021, autour de quatre grands objectifs stratégiques:

-réaménager, libérer et attribuer des fréquences radioélectriques (définition des conditions techniques d’usage et de répartition des bandes de fréquences) avec l’appui technique des structures publiques dédiées et la collaboration des opérateurs privés de télécommunications;

-susciter une dynamique de l’écosystème numérique autour de la 5G; créer un environnement propice au développement de la 5G.

– accompagner le développement des infrastructures SG.

Les chantiers de la feuille de route sont en cours d’exécution par l’ensemble des parties prenantes sous la houlette du Ministère de de la communication et de l’Economie numérique. D’ores et déjà, je puis vous dire que les tests d’expérimentation ont été réalisés par les opérateurs avec des retours positifs, une consultation publique a été finalisée sur les conditions d’attribution des bandes de fréquences 5G, et les résultats sont disponibles sur le site web de l’ARTCI.

Les conditions d’attribution des fréquences devraient être finalisées dans les prochaines semaines, de sorte à permettre aux opérateurs d’acquérir les équipements nécessaires au déploiement. En tout état de cause, la Côte d’Ivoire se veut être un marché innovant en matière de technologie et je peux vous assurer que les services 5G à des tarifs abordables seront disponibles pour la CAN en janvier prochain, comme annoncé par le Gouvernement pour le bonheur des Ivoiriens et de nos hôtes africains.

Pour finir, Mme le DG, avez-vous d’autres informations ou précisions à apporter sur le sujet ?

Vous savez, nous avons entendu beaucoup de choses pendant ces quelques jours sur la question de la DATA. Aussi, vous me donnez l’occasion de corriger des contre-vérités qui ont été dites aussi bien sur les réseaux sociaux que sur certains plateaux de Télévision, qui plus est, par des personnes respectables.

Concernant le fait que l’ARTCI aurait transmis une lettre d’injonction aux opérateurs de téléphonie mobile le 5 avril 2023 d’augmenter les tarifs de la DATA mobile à 1 FCFA contrairement aux propositions faites par les opérateurs appliquer des tarifs compris entre 0,5 FCFA le Mégaoctet et 0,7 Fefa HT le Mégaoctet. A ce sujet, il faut savoir que l’ARTCI est l’un des Régulateurs qui travaille de façon permanente en partenariat avec tous les acteurs de l’écosystème.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de la décision n° 2023-0834, une note d’information a été transmise aux opérateurs de téléphonie mobile le 05 avril 2023. Cette note d’information est consécutive aux demandes de clarifications et précisions souhaitées par les opérateurs pour une mise en oeuvre de ladite décision.

Cela rentre dans le cadre d’un processus normal de mise en œuvre des décisions de l’ARTCI, pour s’assurer d’une compréhension uniforme par tous les opérateurs des nouvelles dispositions réglementaires adoptées. Il ne s’agit aucunement d’un courrier d’injonction de I’ARTCI en réponse aux propositions faites par les opérateurs qui du reste n’ont jamais été adressées à l’ARTCI. Concernant l’affirmation selon laquelle les tarifs DATA MOBILE au Sénégal seraient moins chers qu’en Côte d’ivoire, cette affirmation repose sur l’augmentation observée le 06 avril 2023 alors que comme indiqué plus haut, l’ARTCI a demandé aux opérateurs de sursoir à cette augmentation.

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Si l’on s’en tient aux tarifs avant cette date, les tarifs de la Côte d’ivoire sont plus abordables que ceux des pays de la sous-région à l’exception du Ghana et du Nigeria si l’on s’en tient au dernier classement publiée par UIT. Par ailleurs, de nombreuses études publient des enquêtes qui semblent donner des informations contraires mais très souvent les méthodologies de ces études ne sont pas explicitées. Par conséquent, il faudrait les interpréter avec beaucoup de recul et observer une certaine retenue.

Source : Magazine interne à l’ARTCI

NDLR : Le titre et l’introduction sont de la rédaction


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