Mort de Djénéba Gon Coulibaly : L’émouvant hommage d’un journaliste

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Mort de Djénéba Gon Coulibaly, l’émouvant hommage d’un journaliste
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Mort de Djénéba Gon Coulibaly. Mon histoire avec celle qui me donna ma première chance. Nous sommes en septembre 2004. En fin d’année universitaire de licence en Communication, option Journalisme, j’obtiens, grâce l’aîné Cissé Ben Mamadou (qui ne me connaissait pas du tout), un stage à la direction de la Communication du Port Autonome d’Abidjan (PAA).

Le jour où j’arrive dans l’entreprise pour prendre fonction, je suis présenté à une dame. « Mme Okou, je vous présente M. Traoré Mamadou, votre nouveau stagiaire », lui dit l’agent de la direction des Ressources humaines qui m’accompagnait.

Elle me dévisage, sourire aux lèvres, et me dit : « Bienvenu chez vous, M. Traoré.» Puis, demande à ses collaborateurs de me trouver un bureau. Mme Okou Djénéba Gon Coulibaly (plus connue sous le nom Mme Okou) était à l’époque chef du Département Communication de la Direction Autonome de Communication, des relations publiques et de la Coopération internationale du PAA.

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Mort de Djénéba Gon Coulibaly

Voilà comment commence mes premiers pas dans le journalisme. Car, après avoir analysé mon CV, Mme Okou me dit : « Bon, toi, tu vas faire du journalisme ici. Nous avons des supports comme « PAA Infos Flash », « Le Bollard »… Tu vas aller sur le terrain, mais aussi tu vas exploiter des documents ici. Quand tu finis d’écrire un texte, tu le fais lire par Mme Amangoua ton chef de service, et si c’est bon, je le valide». Et c’est comme ça que débute ma collaboration avec cette dame dont le sourire ne quitte presque jamais le visage.

Djénéba Gon Coulibaly

Avec Mme Okou, j’ai appris ce qu’on appelle travailler avec rigueur et professionnalisme. Proposez-lui un texte, et en un coup de lecture elle vous montre ce qui ne va pas dans ce texte. Mais quand c’est bon, elle ne dit rien et vous dit : « Ok, c’est bon !». Toujours avec ce sourire. Un véritable leadership dans la bonne humeur. Ses qualités professionnelles, ce n’est pas tant ce sur quoi je voudrais m’attarder car tous ceux qui ont collaboré avec elle en sont unanimes , vu les nombreux témoignages fusent çà et là depuis sa triste disparition.

Générosité faite femme

En novembre 2004, nous sommes en plein dans la nouvelle année scolaire. Pour avoir un bus ordinaire pour le Plateau, il faut sortir très tôt le matin. Or moi, malgré mes efforts de sortir souvent à 5h30 minutes de chez moi, j’arrivais de plus en plus en retard au service. Chose que la patronne avait remarquée mais que mon chef de service, Mme Amangoua (que je remercie encore du fond du cœur) tentait souvent de justifier auprès d’elle.

« Madame, il prend le bus ordinaire ; avec la rentrée c’est un peu compliqué pour lui… ». Puis arriva ce jour où j’arrivai au service après 10h. Je sais que Mme Okou est au bureau. Je tente de me glisser tout doucement vers mon bureau, manque de pot pour moi, elle sort au même moment de son bureau. Voilà drap ! Comme on le dirait en nouchi.

« Mais toi-là, c’est Guilaine (Mme Amangoua) qui te couvre non. Viens m’expliquer ce qui se passe avec tes retards là je ne comprends plus rien. Même si c’est la rentrée, comment les élèves font pour avoir le bus et non toi ? (….).» Je rentre alors dans mes explications, et elle me coupe. «Tu ne peux pas prendre les taxis intercommunaux ou le gbaka pour arriver plutôt ?». « Madame, au fait c’est un peu compliqué financièrement… je me déplace avec ma carte de bus étudiant», lui-répondis-je.

Mort de Djénéba Gon Coulibaly
Mort de Djénéba Gon Coulibaly, l’émouvant hommage d’un journaliste

Elle me regarde un instant et me dit : Bon, ok ok rejoins ton bureau, je pars à une réunion, on se parle après ». Ce jour-là, à la descente, Mme Okou me fait appel à son bureau, et me remet discrètement, malgré le fait que nous n’étions que deux à son bureau- une enveloppe contenant une somme d’argent. « Prends ça pour ton transport. Je ne veux plus te voir en retard ». Le temps que je ne lui dise « merci », qu’elle me coupe : « Tu rentres comment ?» « Euhh en fait je marche jusqu’à la gare du bateau bus à Treichville pour prendre le bateau pour Yopougon ». « Bon, ce n’est pas trop sur ma route mais viens avec moi, je te descends là-bas et je continue ».

Toujours avec ce sourire. Depuis ce jour, chaque jour à la descente, elle me déposait à la gare du bateau, et chaque fin de mois, elle me glissait quelque chose pour mon transport. « Ecoute, continue de travailler, soit courageux ok, ça va aller ok », me conseillait-elle fréquemment. Je ne parle même de ces surprises (marquantes) qu’elle m’a faites à la faveur des fêtes de fin d’année et au mois de Ramadan, et des petits gestes à côtés. Tout ça, couronné par un remarquable sens de l’écoute. Quand je pense comment elle était passionnée quand elle parlait du Port d’Abidjan.

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Si la FOI était une femme

Mais au-delà toutes ces apparences, Mme Okou fût une femme de foi. Une musulmane pratiquante, digne et sincère. Ce qui me marqua dès notre premier contact à son bureau, c’était les signes référant à sa religion qui ornaient les lieux. On pouvait voir, entre autres, plaqué sur un mur, un tableau intitulé : « Le dernier sermon du Prophète Mohamad » (Paix et salut sur son âme). Et sur ce tableau l’on pouvait lire l’intégralité de ce dernier message digne d’un testament pour l’humanité, du dernier des prophètes d’Allah. Contrairement aux autres qui m’appelaient « Traoré », elle m’appelait « Mamadou ».

Mort de Djénéba Gon Coulibaly

Souvent, elle disait « Mouhadou » comme ça se prononce en Koyaka, juste pour se moquer de moi et faire par la même occasion le jeu de l’alliance inter-ethnique Koyaka-Sénoufo. « Mamadou, comme c’est le Ramadan, tu peux descendre à 16 heures ok », « Mamadou, demain c’est Arafat, demande tout ce que tu veux à Dieu, il est aussi recommandé de jeûner ce jour, c’est très bénéfique»…. Et arriva le mois d’avril 2005, où mon stage devrait prendre fin. Car les cours avaient entre-temps repris au département de Communication à l’Université FHB, et je tenais à avoir ma maitrise. C’était donc le moment de la séparation après cette riche expérience qui marquait mes premiers pas professionnels.

Les leçons d’une séparation

Avant mon départ, Mme Okou me reçoit dans son bureau, en présence de ma cheffe Mme Amangoua. Ce jour-là, comme on le dit en français ivoirien, « conseil n’est pas conseil ». Mais je retiens une phrase : « Ais confiance en toi». C’est pourquoi, lorsque je fus admis au concours de recrutement de la Fonction Publique pour l’emploi de chargé de rédaction, fin 2006, je voulais qu’elle soit l’une des premières personnes à en être informées.

Les résultats sont sortis en période de fête de fin d’année. Je tente de la joindre, non seulement pour lui souhaiter bonne fête et lui annoncer la nouvelle, impossible de la joindre. Après plusieurs tentatives infructueuses de la joindre, je décide alors de me rendre au PAA en début d’année 2007 pour lui « raconter ma belle histoire ». A mon grand désarroi, on me dit : « Mme Okou a pris une année sabbatique. Peut-être qu’elle est hors du pays ».

Ok. L’essentiel, c’est qu’elle va bien. Ce n’est que partie remise. Puisqu’en 2008, je suis affecté à l’AIP où j’exerce en qualité de journaliste-reporter. C’est ainsi qu’à la faveur de la campagne électorale de 2010, je suis désigné par mon organe, pour couvrir les tournées de pré-campagne et de campagne du Candidat Alassane Ouattara du Rassemblement des Républicains (RDR, opposition). Et c’est là que je vais rencontrer à nouveau Mme Okou. C’était à l’étape de Korhogo, la cité du Poro.

Retrouvailles dans la cité du Poro

Il est 19 heures (ce jour dont je ne me rappelle plus la date). Nous somme dans la grande cour familiale des Gon Coulibaly. J’aperçois cette dame… qui marche avec d’autres personnes, toujours avec ce sourire. Je l’approche et je la salue : « Bonsoir Mme Okou ». « Bonsoir, comment vous allez… ». Mais elle cherche un peu (bien normal il y a bien longtemps quand même, me dis-je). « Si si, ne dis rien attends je cherche… ». Et je veux lui faciliter la tâche.

« Au fait c’est.. », et elle me coupe encore : « Je sais, je t’ai eu en stage, c’est ça non ? C’est ton nom je cherche. Voilà.. c’est Ouattara non ? non non c’est Traoré, ou bien je me trompe ? ». « Si si, c’est ça Madame », et là, elle se tient droit, et me secoue légèrement la main. « Tiens ça fait longtemps toi ? C’est ton prénom là je cherchais… ». « C’est Mamadou, Madame. Voilà, Mouhadou. Petit Koyaga là. Ah je suis ravie de te revoir. Viens que je te présente à ma famille ».

Et elle me présenta à tous ses parents qui étaient proches de notre position. « Voilà un de mes anciens stagiaires, il est journaliste maintenant à l’AIP. Occupez-vous bien de lui hein». Ainsi, nous avons renoué le contact. Et à chaque fois que nous nous sommes rencontrés à la faveur d’un événement, elle est toujours restée la même Mme Okou. Joviale, chaleureuse et humble. Jusqu’à ce jour de grand choc !

Le choc de la triste nouvelle

Vendredi 17 décembre 2021. Il est 17 heures et je rentre de Grand Bassam, satisfait des trois de séminaire organisé par l’Association des journalistes scientifiques ivoiriens que j’ai l’honneur de présider. Arrivé au niveau de Port Bouet, je veux défiler un peu mon fil Facebook pour prendre le pool de la journée. Et patatras ! Je tombe sur un post de Sam qui annonce la triste nouvelle. J’ai juste le temps de lire le mot « DEUIL », de voir la photo de la concernée et le nom « Gon Coulibaly » que je pers mes moyens, laissant échapper mon téléphone portable qui me tombe sur mes cuisses serrées l’une contre l’autre dans le Gbaka.

Je refuse de lire ce que je viens de voir. Je suis sans voix. Et tous ces moments passés auprès de cette grande dame me défilent à l’esprit. « Non c’est pas vrai », je ne cesse de me répéter… Jusqu’à ce que j’arrive à la maison, que je reprenne mes esprits pour me rendre à l’évidence. Mais nous devons retenir une chose : Mme Okou est une belle âme. Et « les belles âmes ne meurent jamais » (P.L. Richarrd).

Adieu Mme Okou et merci pour tout. A jamais, vous aurez impacté ma vie pour m’avoir donné cette première chance, cette première expérience en situation professionnelle (Je suis parti du Port après mon stage, mais avec le Port dans mon cœur).  Mes sincères condoléances à la famille Gon Coulibaly et à la grande famille portuaire. Qu’Allah t’accorde son Paradis. Adieu, Grande dame !

Traoré Ahmed Bob

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