Le plafonnement des loyers et cautions en Côte d’Ivoire désormais à quatre mois, adopté par le gouvernement et l’Assemblée nationale en 2018, n’est pas du tout respecté par les propriétaires de logements.
Des appartements de tous types à louer. On en voit partout dans la ville d’Abidjan. Des quartiers huppés aux moins huppés, les logements sont disponibles pour le besoin des populations. Il suffit de faire un tour dans les quartiers d’Abidjan pour s’en convaincre. Malheureusement, les coûts de la location restent exorbitants et inaccessibles et les usagers ne cessent de s’en plaindre. Il n’est donc pas rare de voir des cautions et acomptes frôler le million de Fcfa.
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Ce qui a suscité l’adoption de la loi portant plafonnement de la caution et des acomptes pour les loyers en 2018, et revue en 2019 (Loi N°2019- 576 du 26 juin 2019 instituant code de la construction et de l’habitat). Cette loi fait obligation aux bailleurs de ne considérer que deux mois de caution et deux mois d’avance, dans les contrats de bail. En effet, même si cette mesure a été saluée par les populations et surtout par les locataires, la réalité est tout autre sur le terrain.
Le plafonnement des loyers et cautions en Côte d’Ivoire à quatre mois
Claudine N’Gbo en a fait les frais. Cette entrepreneure résidant à Yopougon soutient que rien n’a changé. « C’est vrai que la loi a été votée, mais une chose est sûre, elle n’est pas appliquée. Ce n’est pas la première fois qu’on vote une loi en Côte d’Ivoire et qui n’est pas respectée », déplore-elle. A en croire notre interlocutrice, les propriétaires ont toujours trouvé un moyen pour contourner les mesures prises par l’État.
Cette loi, poursuit-elle, n’a pas mis fin à l’anarchie dans laquelle baigne le marché de l’immobilier. Il peut arriver que le candidat au logement se fasse humilier par des bailleurs qui ne se sentent pas concernés par cette loi. « Les locataires n’ont pas le choix. La demande est forte. Les propriétaires ont toujours de la clientèle. C’est pourquoi la décision ne peut pas être appliquée », justifie-t-elle. Comme elle, Kady Sékongo, commerciale dans une société de la place qui vient d’emménager à Angré les Arcardes, pense qu’il y a une réalité implacable que le texte de loi ne règle pas.
Et qui, malheureusement, met le consommateur dans une posture défavorable vis-à-vis du bailleur. Il s’agit du déséquilibre entre l’offre et la demande de logement qui, de toute évidence, ne peut être corrigé par un texte de loi. Elle estime que tant qu’il n’y aura pas un équilibre entre l’offre et la demande de logement, il sera difficile de faire appliquer ce texte dans toute sa rigueur.
La loi fait obligation aux bailleurs de ne considérer que deux mois de caution et deux mois d’avance, dans les contrats de bail
« Je fais un constat qu’à la pratique, le déséquilibre entre l’offre et la demande de logement est tel que les usagers eux-mêmes ne sont pas prêts à mener le combat pour imposer au bailleur le respect des dispositions contenues dans la loi, notamment l’obligation qui lui est faite de n’exiger que 2 mois de caution et 2 mois d’avance. Là, je viens de verser 1 500 000F Cfa pour la location d’une maison de 3 pièces, pour 3 mois de caution, 2 mois d’avance et un mois à l’agence immobilière. Je n’avais pas le choix, vu que je suis dans le besoin », se dédouane-t-elle.
Elle argumente qu’une personne qui a parcouru la ville d’Abidjan à la recherche d’une maison, et payé régulièrement des frais de visite à des agents immobiliers, lorsqu’elle fi nit par en avoir une, n’a pas pour premier réflexe de rappeler au bailleur que la loi exige deux mois de caution et deux mois d’avance. « Même si vous prenez le risque de le faire, il y a quelqu’un d’autre à côté de vous qui est prêt à payer 3 mois de caution et 2 mois d’avance pour intégrer la maison. C’est cela la réalité du terrain », justifie-t-elle. Abdoulaye Sidibé réside à Koumassi, à un jet de pierre de la pharmacie du Gabon. Il vit dans un appartement de 4 pièces depuis 2019. Soit un an après l’adoption de la loi sur le plafonnement des cautions. Le loyer mensuel est de 300 000F Cfa.
« Certes, la loi a été adoptée, mais il y a des bailleurs véreux qui ne pensent qu’à faire fortune », révèle-t-il. Mieux, ce qui l’intrigue, c’est que le contrat de bail prévoit généralement le versement d’un dépôt de garantie lors de la signature du bail qui n’est pas remboursé. En principe, le bailleur doit restituer cette caution à la fin de la location, sauf si des réparations sont nécessaires…
A l’en croire, le premier sujet de conflit est la non-restitution ou restitution partielle du dépôt de garantie. Cette somme qui équivaut à 3 mois de caution, est versée par le locataire en début de mise en œuvre du contrat de bail. Elle garantit le propriétaire contre les éventuelles dégradations de l’appartement, voire les impayés de loyers ou de charges. En principe, cette somme doit être restituée au locataire dans le mois suivant son départ, quand ce dernier a su entretenir la maison.
Plafonnement des loyers et cautions en Côte d’Ivoire
Or, de plus en plus, le propriétaire ou son gestionnaire ne le restitue pas. En réaction, nombreux sont les locataires qui ne payent pas le dernier mois de loyer pour plus ou moins compenser cette non restitution. Les bailleurs se défendent Si les bailleurs sont accusés, ils soutiennent cependant que les choses ne sont pas aussi simples. En effet, Bakayoko Hamed, agent immobilier et gérant d’un immeuble à Angré Cité Papayers, affirme que les grands perdants sont les propriétaires de maisons. Pour lui, cette loi est inique et injuste envers les propriétaires de logements.
« C’est une décision qui vient nous pénaliser. Nous sommes souvent obligés de faire de grands travaux dans les maisons après le départ de certains locataires qui laissent les appartements dans un état de délabrement. Ces réparations nécessitent parfois d’énormes investissements», fait-il remarquer. Mieux, il met l’accent sur les matériaux de construction qui restent parfois inaccessibles. A savoir la tonne de ciment qui est commercialisée aujourd’hui à environ 110 000F, voire un peu plus; le fer à béton, la tuyauterie, le carrelage… Pour M. Bakayoko, le propriétaire est perdant sur toute la ligne.
« L’application de la mesure n’est pas facile. L’État doit plutôt mettre l’accent sur la politique de logement à travers des programmes sociaux », suggère-t-il. Tout comme lui, Koné Chérif, responsable de l’entreprise immobilière GM-Coporation Sci, estime que seul l’État peut trouver une solution à ce problème. « C’est l’État qui peut mettre de l’ordre dans le secteur de l’immobilier en Côte d’Ivoire. Il faut déjà travailler à faire baisser le coût des matériaux de construction. Nous avons maintenant beaucoup de cimenteries au pays. Alors, pourquoi le ciment est cher ? Le dernier mot revient au gouvernement », confie-t-il.
En attendant, les regards sont tournés vers les décideurs pour donner les coudées franches aux consommateurs afin de réclamer le respect de cette disposition légale, mais surtout de travailler à assurer la disponibilité en masse de logements comme le préconise Bakayoko Hamed. Car, si l’offre est abondante, il n’y a pas de raison que les propriétaires de maisons ne veuillent pas se conformer aux lois en vigueur…
L’État doit prendre des mesures adéquates…
La mesure prise par l’État dans le cadre du plafonnement de la caution et de l’avance du loyer est un fiasco total sur le terrain. Et pourtant, l’Union nationale des locataires de Côte d’Ivoire (Unaloci) a eu plusieurs rencontres avec le ministère de la Construction. Et beaucoup de promesses ont été faites dans le cadre du respect des textes régissant le bail ». Ce sont les propos de Yaya Sanogo, président de l’Unaloci avec qui nous avons eu un entretien le 20 décembre 2022.
A l’en croire, le ministère de la Construction a annoncé au cours d’une réunion qu’il mettra en place un Observatoire pour le respect des textes régissant le bail. « Mais hélas, c’est toujours le statu quo », déplore-til. Pour lui, l’État doit prendre des mesures adéquates qui peuvent amener les locataires eux-mêmes à dénoncer les bailleurs réfractaires sans craindre de représailles. Il doit faire en sorte que le prix de chaque logement à usage d’habitation soit conforme à sa valeur locative.
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Selon lui, en effet, si l’État permet aux propriétaires de payer l’impôt foncier par rapport à la valeur locative du logement, cela veut dire qu’il doit aussi permettre aux locataires de payer le loyer par rapport à la valeur locative du logement. « L’Unaloci a fait beaucoup pour les locataires. Elle continue toujours de mener des actions pour leur bien-être social. Nous venons d’émettre deux contrats-types (bail à usage d’habitation et bail à usage professionnel) pour la régulation d’une justice équitable », confie-t-il. Yaya Sanogo souhaite, par ailleurs, la reprise de la politique de location-vente pour augmenter le nombre de propriétaires de logements. Cela va entraîner la baisse du coût du loyer
Source : Fraternité Matin
NDLR : Le titre est de la rédaction
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