La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) traverse une période de turbulence majeure. Le 29 janvier 2025, le retrait effectif du Mali, du Niger et du Burkina Faso a marqué un tournant historique. Cette décision, initiée un an plus tôt, soulève des interrogations quant aux conséquences économiques pour les deux blocs. Séraphin Prao, Maître de Conférences Agrégé en économie, analyse cette rupture et ses implications.
Avec la sortie de ces trois États, la CEDEAO voit sa superficie réduite de 54 %, passant de 5,12 millions de km² à 2,34 millions de km². Cette perte territoriale s’accompagne d’un impact démographique, avec 70 millions d’habitants en moins, soit près d’un tiers de la population communautaire.
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Sur le plan économique, les conséquences ne sont pas négligeables. « Leur départ entraînera une réduction de la taille du marché de la CEDEAO », souligne Séraphin Prao. En effet, ces trois pays représentent 21,3 % du commerce intra-communautaire. Pourtant, ils sont bien plus dépendants des importations que des exportations : leurs importations atteignent 41,3 % du commerce intra-régional, tandis que leurs exportations ne pèsent que 9,7 %.
Un enclavement qui complique les échanges commerciaux
L’un des défis majeurs pour les pays de l’AES est leur situation géographique. « Le bloc géographique des pays de l’AES présente une caractéristique quasiment rédhibitoire : il est totalement enclavé », avertit Séraphin Prao. Privés d’accès direct à la mer, le Niger, le Mali et le Burkina Faso dépendaient des infrastructures portuaires de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Ghana et du Sénégal. Aujourd’hui, ils doivent chercher des alternatives à travers l’Algérie, la Mauritanie ou le Tchad, ce qui risque d’augmenter significativement les coûts logistiques.
Déjà, des réajustements sont observés. « Le Togo s’impose désormais comme un partenaire stratégique, offrant une alternative aux corridors traditionnels », constate l’économiste. Le port de Lomé remplace progressivement celui de Cotonou, mais cette réorientation a un coût : selon l’OCDE, le nouvel itinéraire Lomé-Niamey a entraîné une hausse de plus de 100 % des frais logistiques.
La montée du coût de la vie et le défi de l’autonomie économique
Les populations des pays de l’AES pourraient être les premières victimes économiques de cette rupture. « Si les autres pays appliquent un protectionnisme, leurs importations coûteront plus cher, ce qui peut accentuer la vie chère dans ces pays », prévient Séraphin Prao.
De plus, la sortie des pays sahéliens prive ces derniers des financements de la CEDEAO, notamment les 500 millions de dollars (250 milliards FCFA) de la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC) destinés aux infrastructures et aux projets de développement. Pour compenser cette perte, l’AES mise sur l’exploitation de ses ressources naturelles : uranium et pétrole pour le Niger, or et lithium pour le Mali, ainsi que les réserves aurifères du Burkina Faso.
Toutefois, l’incertitude plane. « La création d’une banque d’investissement régionale pourrait être un levier, mais son existence dépendra du soutien d’acteurs étrangers comme la Chine ou la Russie », analyse Prao. Or, la Chine réduit progressivement ses financements en Afrique, ce qui rend cette option incertaine.
Un coup dur pour les transferts de fonds des migrants
Autre conséquence directe : les transferts d’argent des diasporas sahéliennes. Les migrants des pays de l’AES ont envoyé en 2021 123 milliards de FCFA depuis la Côte d’Ivoire, 36 milliards depuis le Sénégal, 15 milliards depuis le Bénin et 14,6 milliards depuis le Togo. Ces flux représentent une source essentielle de revenus pour les familles et pourraient être impactés par des mesures administratives restrictives.
« Le retrait des pays de l’AES priverait leurs ressortissants de la liberté de circulation, d’installation et d’accès à l’emploi garantie par l’UEMOA », explique l’expert. En effet, en 2022, les transferts des migrants représentaient 5 % du PIB du Mali, plus de 3 % pour le Burkina Faso et le Niger. Une baisse de ces flux pourrait aggraver les difficultés économiques.
Des répercussions variables pour les pays restants de la CEDEAO
Si les pays sahéliens sont durement touchés, la CEDEAO réduite devra aussi faire face à des défis. La Côte d’Ivoire et le Sénégal verront leur commerce affecté, bien que dans des proportions différentes. Par exemple, le Mali représente 20 % des exportations du Sénégal, tandis que la Côte d’Ivoire exporte moins de 15 % vers l’AES.
Les ports ouest-africains pourraient également subir un manque à gagner. Le trafic destiné à l’AES représente 52 % du volume du port de Cotonou, 18 % pour Dakar, 13 % pour Lomé et 8 % pour Abidjan. Toutefois, la situation sécuritaire fragile dans la région complique la mise en place de nouvelles routes commerciales, ce qui pourrait maintenir une dépendance partielle des pays de l’AES envers leurs anciens partenaires.
Une fracture aux conséquences incertaines
Le retrait des pays de l’AES de la CEDEAO constitue une reconfiguration majeure de l’espace économique ouest-africain. Cette scission fragilise l’intégration régionale et pose des défis tant pour les États sahéliens que pour leurs anciens partenaires. « Aujourd’hui, l’incertitude et les risques augmentent, dissuadant les investissements et perturbant les chaînes d’approvisionnement », conclut Séraphin Prao.
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Alors que la CEDEAO cherche à préserver son influence et que l’AES tente de bâtir un modèle économique autonome, les prochains mois seront décisifs pour l’avenir des relations économiques en Afrique de l’Ouest.
Afriksoir
Retrait des pays de l’AES : « L’acte posé par la CEDEAO est salutaire » (Analyste)
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Les ennemis de l’Afrique ce sont les eux-mêmes les africains.
Les transferts que vous parlez, pourraient se faire sur la base commerciale. Ils ne sont seulement les migrants qui effectuent les envois,ya d’autres personnes non AES. Le Business nous lie les uns des autres.
La sortie ne nous divisera pas, tant que vous n’accepteriez plus de l’ingérence étrangères.
Vive L’Afrique unie et Libre.