Après les sanctions économiques et financières infligées au Mali à l’issue des sommets extraordinaires de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), la star ivoirienne Tiken Jah Fakoly a été invité sur le plateau de l’émission MaliVox.net afin de donner son point de vue sur les mesures prises à l’encontre du Mali. Afriksoir.net a rédigé et retranscrit cette interview pour ses abonnés.
Aujourd’hui effectivement il y a une crainte que le Mali ne devienne un champ de bataille pour les grandes puissances, mais moi ce que je peux dire, c’est que le Mali est un pays indépendant, c’est un pays qui doit dire non quand il faut dire non, et je pense qu’il faut aujourd’hui accompagner ce pays dans ça résistances.
Parce qu’il se trouve que la France a donné l’indépendance aux pays francophones que nous sommes, la journée et ils l’ont récupéré dans la nuit, c’est ce qu’on récent, et nous avons envie de faire de cette indépendance une réalité et donc je pense que l’enjeu aujourd’hui est de prouver que le Mali est un pays indépendant, et qu’il peut demander librement à la Russie de venir l’aider, il peut demander à la Chine ou à n’importe quel pays de venir l’aider et que ce n’est pas à la France de dicter ce qu’il doit faire, c’est ça l’enjeu aujourd’hui au Mali et c’est pourquoi tout le monde doit soutenir cette résistance, le prix va être difficile à payer parce que c’est la population qui va le payer. Les pays occidentaux vont s’arranger de sorte qu’il y ait des difficultés et que le peuple se lève contre les dirigeants actuels.
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Je suis contre les coups d’États, mais je pense qu’il y a des pays en Afrique où il y a des réparations à faire pour repartir sur une nouvelle base, parce que la démocratie est en train d’être utilisée par des dirigeants pour en faire quelque part comme un parti unique et puis mettre leurs familles ou bien organiser un pillage des biens du pays.
Je comprends bien Tiken, en fait quand je vous écoute sur le cas du Mali, on ne va pas quand même encourager Wagner, parce-que ce sont les Russes qui sont là, évidemment c’est très important, on prend le cas de la Centrafrique. Pour le cas de la Guinée, est-ce qu’on peut dire que le syndrome du Mali peut se retrouver en Guinée parce que là on est parti pour 5 ans pour ce qui est de la transition, est-ce que vous avez un mot à dire là-dessus ?
Je suis contre les coups d’États, je suis pour ne pas que les militaires s’éternisent au pouvoir, et ce n’est pas dans leur intérêt d’ailleurs, parce-que lorsqu’on prend goût au pouvoir, on a du mal à partir, car tous ceux qui viennent vous voir vous disent que vous êtes le sauveur, il y a eu des exemples en Guinée, il y a eu des exemples en Côte d’Ivoire avec le général Guei, donc c’est dans l’intérêt des militaires de ne pas rester longtemps au pouvoir, s’ils ne confisquent pas le pouvoir, ils font ce qu’il faut et ils partent, c’est le peuple même qui va les réclamer un jour, ça été le cas au Mali pour Amadou Toumani Touré (ATT).

Il y a des choses à régler, il y a des choses qui se font en Guinée, j’ai vu qu’il y a des leaders politiques guinéens qui étaient à l’extérieur qui commencent à rentrer, je considère qu’il y a un réglage qui est en train d’être fait, et après ce réglage il faut absolument que le colonel Doumbouya rentre au Camp et s’il fait bien les choses il sera réclamé un jour, l’exemple palpable qu’on a dans la sous-région, c’est le cas d’Amadou Toumani Touré, si le général Guei avait fait comme ATT, il serait non seulement vivant, mais il aurait été appelé lorsque Gbagbo, Bédié et Alassane ont commencé à se batailler sur le pouvoir.
Que faites-vous de la transition, c’est la question posée ce matin ?
Moi je pense qu’une transition ne doit pas dépasser trois ans.
Justement sur la durée, les autorités de la transition au Mali ont demandé à la CEDEAO, 5 années de transition et avant-hier il y a les associations et sympathisants de l’imam Dicko qui ont sorti une déclaration pour dire qu’ils s’opposaient farouchement à cette initiative sombre d’aller sur 5 années, est-ce que cela vous inspire, c’est la première question ?
La Guinée et le Mali… on dit que c’est deux poumons dans un même corps, est-ce que vous ne pensez pas que cette situation du Mali risque de faire l’effet domino, c’est-à-dire inspirer les autorités en Guinée même si les réalités ne sont pas les mêmes ? Le Mali quand-même… les exigences sont plus importantes avec la question sécuritaire. C’est sûr que si la transition au Mali arrive à faire 5 ans, c’est sûr que ça va inspirer ceux qui sont au pouvoir en Guinée.
Moi je pense qu’au Mali ça va passer difficilement C’est vrai que la majorité des Maliens aujourd’hui soutien cette transition, mais en même temps le Mali est un pays où les gens sont debout, je pense que bientôt ils vont s’organiser pour faire en sorte que ceux qui ont décidé de faire 5 ans reviennent à 3 ans, néanmoins, je pense que si ça passe au Mali ça va passer en Guinée.
Mais le conseil que je peux donner aux militaires en Guinée et au Mali, c’est de ne pas rester longtemps au pouvoir, parce qu’après ils vont s’embourber, ça va encore créer des problèmes, on en a vu des exemples, il faut rester 3 ans, organiser les élections et partir. S’ils font bien les choses, il est clair que le peuple les réclamera.
Tiken, chateaubriand a écrit « pour être l’homme de son pays, il faut être l’homme de son temps », est-ce que Assimi Goïta et le colonel Mamady Doumbouya, lorsqu’ils nous parlent des assises nationales, ne se trompent-ils pas d’époque, lorsque nous connaissons l’histoire des assises nationales dans les années 90 au Bénin et un peu partout en Afrique ?
Non je pense que c’est une manière aussi de donner la parole au peuple, maintenant est-ce que ces assises sont populaires, est-ce que ces assises sont soutenues par la majorité du peuple, je pense que ce sont des gens qui sont en train de faire une transition, ils ont envie de faire des réglages, ils ont envie pousser les acteurs politiques à agir autrement, donc je pense que c’est important de donner la parole au peuple, et maintenant la question c’est est-ce que ces assises sont populaires, est-ce que les gens qui viennent parler à ces assises sont les bons choix, est-ce que ce ne sont pas de gens qui ont été désignés par le pouvoir en place.
Vous avez parlé tout à l’heure de l’indépendance du Mali par rapport à son choix d’aller avec la Russie, mais vous n’avez pas l’impression que cette souveraineté qu’on revendique qu’on à tue-tête, on ne l’a pas… parce-que justement nous n’avons depuis 60 ans fait en sorte que nos armées soient capables de nous défendre sans faire appel à la France ou alors à une société comme Wagner qui est une société de mercenaires, Poutine n’est pas réputé n’ont plus pour être le plus grand démocrate du monde, ça c’est une réflexion à mener.
Deuxième chose, vous n’avez pas un peu l’impression que votre combat c’est le serpent qui se mord la queue dans la mesure où vos aînés, Peter Tosh, Bob Marley avaient chanté au Zimbabwe « Africa Unit », ils ont milité justement pour que tous les maux dont on souffre depuis 60 ans soient réglés, ils l’ont fait avant vous, malheureusement on a l’impression qu’ils ne l’ont pas réussi, est-ce que ça vous encourage à continuer ou plutôt ça vous désespère ?
Ah non ça ne me désespère pas, je pense que je dois continuer, il faut continuer parce-que, vous savez… même pour l’abolition de l’esclavage, les gens ont lutté pendant longtemps et ils n’étaient pas là pour voir les résultats, pour la colonisation également, les gens ont lutté pendant longtemps, lorsqu’on on a obtenu la colonisation ces gens n’étaient pas là, mais leur combat a payé, moi je pense qu’il faut continuer à sensibiliser, il faut continuer à chanter, à éveiller les consciences.
Même si on ne réussit pas maintenant, je reste convaincu qu’une autre génération viendra et réussira ce combat parce que de toutes les façons, nous n’avons pas le choix, tant que l’Afrique restera divisée on ne gagnera pas. Mais le jour qu’on se mettra ensemble, et qu’on regardera dans la même direction avec une seule voix, chose qui est difficile aujourd’hui, on gagnera tous les combats.
Les blancs ont besoin de nous, la planète ne peut tourner aujourd’hui sans les matières premières de l’Afrique, en tenant compte de tous les minerais en passant par le cacao, je pense que l’Afrique est un maillon très important au plan économique pour le développement de la planète, donc je pense sincèrement qu’il ne faut pas arrêter et moi je ne m’arrêterai pas.
Djabiga Soro